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Le pavillon des fous
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23 octobre 2006

Little Miss Sunshine

Trop longtemps après sa sortie, et juste avant qu’il ne quitte les salles, quelques mots sur ce film plus qu’étonnant, frais, drôle, émouvant, acide et extrêmement fin. Comme souvent dans les films (ou séries) américains on part du cliché pour explorer la nuance (quand en France, gros malins que nous sommes, on se vautre plus volontiers dans la démarche inverse). Démonstration exemplaire et flamboyante dans ce film, à aller voir de toute urgence avant qu’il ne disparaisse tout à fait des salles obscures, avant de réapparaître misérable chez votre loueur de dvd.

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affiche

Superfreaks

D’emblée le générique attrape le spectateur : des images de miss passées en boucle, une gamine fascinée. Puis une musique qui enlève tout ça et qui montre un homme soliloquant sur les statuts de winner et de looser face à une salle désespérément désertée, un ado (en crise, mais c’est un synonyme) en quête de dépassement physique afin de devenir pilote de chasse et retranché depuis 9 mois dans un silence qui se veut un hommage vibrant à Nietzsche, un vieux un peu baba se faisant un rail de coke, et enfin un femme au volant d’une voiture, partie cherché son frère à l’hôpital suite à une tentative manquée de suicide, avant de ramener de quoi nourrir sa petite famille. Les personnages sont plantés immédiatement, chacun confrontés à leurs limites, à leur faiblesse ou névrose que l’on peut autrement, dans un monde moins rigide et dogmatique, nommer passion. Tous se retrouvent pour un dîner qui s’annonce explosif. L’élément perturbateur annoncé étant l’arrivée de Franck après son suicide raté, spécialiste numéro 1 de Proust auto-proclamé, noyé dans une dépression consécutive au départ de son jeune amant avec son rival universitaire. Face à lui, Richard, le père de famille qui voit en son beau-frère un magnifique contre-exemple, vante les mérites de son programme en 9 étapes devant convertir tout looser en winner, seul statut permettant de réussir dans la société américaine. Mais le film se trouve alors immédiatement dérouté par Olive, la fille de la famille. Récemment classée deuxième à un concours locale de miss pour enfant, elle s’entraîne à un numéro sous la direction de son grand-père. Au cours du dîner, la famille apprend que la numéro un doit déclarer forfait pour l’étape régionale en Californie. Le concours est pour le surlendemain, à plus de 1000 kilomètres de distance. Bon gré mal gré, tout le monde embarque dans un van branlant pour rallier le paradis de la beauté prépubère.

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petit_d_j

Et un petit dèj' dans la bonne humeur, un!

La madeleine, c’est comme les gaufres, c’est un truc de looser

On se retrouve donc dans un film complètement hybride. A la fois road-movie, huis clos familial, comédie acide, le tout habilement saupoudré d’analyse psychologique et sociale. La succession des scènes censées faire avancer l’action, mettre les personnages aux prises, et rapprocher le van de sa destination sont toutes des trouvailles précieuses, qui sont en même temps comiques, émouvantes et intelligentes. Depuis le van lui-même qui doit passer outre les deux premières vitesses, condamné à être constamment en mouvement sous peine de s’arrêter définitivement, jusqu’ au motif du « color-blinded » qui met en lumière une vision du monde et ses conséquences en jouant à de nombreux niveaux lorsqu’il apparaît, tout fait sens dans l’intrigue, dans le film et dans le modèle social présenté. Le conflit qui est en fait représenté est bien celui de la famille lambda en but avec les exigences d’images et de performances de la société dans laquelle elle vit. Ne pouvant raisonnablement y répondre, mais immergée en son sein, il lui faut développer des stratégies pour y vivre. Soit par la rupture, soit par le fantasme, soit par la dénégation, soit par la fuite, le retrait du système. C’est cela qui constitue le drame du film, drame comique car les procédés de détournement de cette famille sont tous considérés avec une grande tendresse, évitant de sombrer jamais dans le pathétique. C’est une famille d’aspirants winners éliminés de la course avant même de l’avoir entamée, et qui hésitent encore entre s’accrocher aux illusions du modèle ou l’envoyer promener. Le film se construit donc petit à petit comme une célébration non pas de la différence, ce serait grossier pour une narration aussi fine, mais d’une diversité intrinsèque sur laquelle la société ne peut dénier indéfiniment, qui marque l’écart entre le rêve et la réalité, et qui montre la richesse même de cette réalité et la pauvreté de ce rêve formaté pour une collectivité. Un rêve commun quand un rêve ne peut jamais être qu’individuel.

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dwayne_et_franck

Figures de Nieztche et Proust côte à côte... ou presque

Le surhomme était donc une fillette

Le film se dirige donc, avec cette famille, vers l’accomplissement du rêve d’un de ses membres, Olive. La fillette concourt pour le titre de miss, confrontée aux mêmes angoisses que les autres membres de la famille : peur de ne pas être à la hauteur, crainte de ne pas être la meilleure, de ne pas triompher. Mais c’est par elle que justement le dépassement de ce stade psychologique pourra avoir lieu. C’est son épreuve que tous les autres membres de la famille devront assumer avec elle. Le terme du film, et la fin très comique du concours des miss est bien l’occasion de mener le propos quelque part, de montrer une limite éprouvée, reconnue et outrepassée. Je n’entre pas dans le détail de cet dernier épisode pour ne pas gâcher le film, mais tout le jeu autour de ce qui est obscène et ce qui ne l’est pas, en fonction de l’intention du geste, est magistral. C’est dans ces derniers moments du film que s’explicitent le double parrainage jusque là humoristique de Proust et de Nietzsche. Si Franck explique à Dwayne le regard proustien sur le temps perdu et le temps retrouvé, et le statut de looser de Proust faisant de lui finalement un winner (lecture un peu « les derniers seront les premiers » de grand Marcel mais bon…), ce parrainage est plus globale : depuis l’idée de dépasser les clichés, les apparences, tout en livrant des vérités universelles sur les fonctionnement humains, jusqu’à cette idée même que c’est le temps perdu du parcours qui fait le sens du film lui-même, qui en forme la substance. Il ne s’agit pas seulement de discriminer bons et mauvais moments, et de leur attribuer un sens qui en modifie la valeur (principe proustien de retournement des souffrances errances en matériaux pour la transfiguration artistique), mais bien de mettre en scène une succession de délais, de temps perdu jusqu’au point d’arrivée qui revêtent finalement une importance plus grande que le temps passé au but fixé initialement. Little Miss Sunshine se nourrit de ces temps perdus, et la scène finale ne peut prendre sens que si elle devient elle aussi  temps perdu. Pour Nietzsche, outre le gag de voir un personnage muet lire Ainsi parlait Zarathoustra, la lecture est plus ambiguë puisque ce mythe du surhomme, si souvent détourné justement dans des modèles de développement individuel dogmatique dont le programme en 9 points constitue un ersatz comique, le motif du dépassement d’un carcan collectif au profit d’un épanouissement autonome et libéré de conventions abstraites est bien le propos tenu par le récit. Mais ce motif se trouve détourné, sur un mode proprement parodique, car nous sommes dans une comédie avant tout, puisque c’est une fillette innocente, et valant par cela, qui fait exploser le système de l’intérieur et ressort de la déflagration aussi pure qu’auparavant. Et grâce à elle, nous spectateurs, ressortons de la séance enjoués, optimistes, hilares et émus à la fois. Petit exploit d’un film qui n’a pas de grandes prétentions mais qui fait plus que remplir son rôle de divertissement intelligent en se montrant fin et sensible.

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les_miss

And the winner is...

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Commentaires
C
trop choux c trop beau j'espère que vous continurez comme sa ! !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Le pavillon des fous
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