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Le pavillon des fous
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9 novembre 2006

Un hanneton dans le plafond

Un blog, c’est aussi raconter sa vie. Pas seulement ce qu’on voit, lit ou écoute, mais aussi globalement tout ce qu’on fait. Dans le registre généralo-nombriliste voici donc un repas fait cette semaine. C’est parti d’un déjeuner dans un café avec deux amies. J’en vois une passer à l’autre un copieux pavé intitulé Testicules, traitant aussi bien de l’histoire de la représentation desdits Petits Témoins que de la manière de les assaisonner. Il n’en fallait pas plus pour aiguillonner ma curiosité et je les entreprends sur le sujet. Elles m’expliquent qu’elles ont eu l’idée de faire un repas axé sur les tabous en cuisine : aussi bien tabous psychologiques (ne pas manger telle ou telle partie d’un animal, en l’occurrence le peu de succès que rencontrent habituellement les abats et en particulier les parties génitales des bêtes) que culturels (volet initions-nous aux cultures exotiques et orientales, est-ce que les insectes c’est bon, au pire on sera paré pour Fear Factor ou Koh Lanta avec en plus la satisfaction d’œuvrer pour la planète, y a pas plus écolo comme démarche que de se nourrir de ces bestioles). Leur souci est que dans le menu il manque un dessert. Je leur soumets une proposition, elles sont emballées, on en rigole pendant tout le déjeuner, et puis j’oublie. Et là, brusquement, je reçois un mail : le dîner est pour cette semaine, les rognons blancs commandés, et, faute de criquets et sauterelles car ce n’est pas la saison, des hannetons blancs ont été extrait d’un compost familial afin de garnir le sac à provision…

Adieu, jolis rognons…

Un repas tabou, ça veut dire évidemment quelques ratés. On affronte ses résistances, son inconscient, et celui-ci ne manque pas de profiter de la moindre occasion pour vous trahir. De mon côté, dans la préparation du dessert, j’avais réservé un jus de macération qu’il me fallait récupérer, et que j’ai bien entendu balancé « oubliant » de glisser le bol destiné à récupérer le précieux nectar sous la passoire. Ce qui m’a conduit à en refaire un autre au dernier moment. (Teasing immense sur la nature du dessert : il vous faudra affronter l’ensemble du repas pour la découvrir…) Notre hôtesse, elle, avait commandé les rognons blancs à son boucher. Le commerçant, ravi de relancer la filière des testicules d’agneau profitait de l’événement pour faire de la réclame à ses autres clients. Mais il fallait venir chercher les abats le samedi, la boutique étant fermée les dimanche et lundi. Oubli, et les rognons blancs se retrouvèrent à pleurer seuls tout le week-end dans la sinistre chambre froide du charcutier… Et pas moyen d’en trouver d’autres ailleurs le lundi : ça ne fait pas partie des achats classiques que l’on peut faire à tout moment. Il a fallu donc improviser…

Pas piqué des hannetons…

Mais il y avait d’abord une entrée à consommer, ou plutôt un amuse-bouche à découvrir. C’est là que les larves de hannetons, aussi appelées vers blancs, entrent en scène. Pour rester dans le registre insecte, un apéritif avait été apporté : le Mescal. Je n’en avais jamais bu, et je fantasmais sur ce nom qui m’évoque Henri Michaux, et son travail aussi bien poétique que pictural lié à la mescaline. Mais le choix de cette boisson ne relevait pas de telles préoccupations littéraire, esthétique ou hallucinogène,  mais du fait qu’au fond du liquide jaune à l’aspect médicamenteux, sorte de simili tequila, reposait, gisant, un ver blanchi par l’alcool (à moins que ce fut là encore son teint naturel). Pendant que nous restions perplexe devant la bouteille et son habitant surprise, ou plutôt son couple d’habitants, car, ô chance, nous avions droit à une erreur d’embouteillage et un deuxième vers s’était joint au premier, en cuisine, un drame se nouait autour de la préparation des hannetons. Sortis de la congélation qui devait les préserver, certains insectes avaient viré du blanc au noir, mauvais présage pour plusieurs d’entre nous. Jetés dans la poêle nos hannetons explosèrent pour la plupart. L’explication de la couleur apparut : les bestioles rendaient la terre contenue dans leurs viscères. Pestant contre les autorités en entomologie consultées et qui jamais n’avaient évoqué le fait de faire dégorger les insectes avant de les cuisiner, nous dûmes nous rabattre sur quelques survivants, à peine un par personne, qui, assaisonnés, se présentèrent devant nous. Quelques hésitations plus tard, le hanneton croquait sous la dent avec un goût tout d’abord de grillé (normal vu la cuisson), ensuite une saveur d’amande amère intéressante (faudrait creuser l’assaisonnement en conséquence), et enfin une forte note de terre pas sympa du tout du tout, vraisemblable résidu du défaut de préparation évoqué plus haut… La première épreuve de la soirée, et la pire pensions-nous, était passée, et c’est confiants et réconfortés que nous passâmes à la suite, non sans que quelques uns d’entre nous ne soient allés vers différents lavabos cracher les restes des gentilles larves qui décidemment n’étaient pas leur truc, ah ça non vraiment pas, mais qu’est-ce que c’est donc que ce repas…

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larves_hanneton

j'ai failli mettre une photo de moi avalant la bestiole, mais je me suis dit que les trois photos suivantes combinées illustraient tout autant ma personne...

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Fuite des cerveaux, sauce au citron

Pour remédier à l’absence des rognons blancs, une frénésie s’était emparée des cuisiniers, et une multitude de mets nous attendaient en remplacement. L’entrée était d’abord composée de museau de bœuf, classique du terroir mais typiquement le genre de truc que je n'achète jamais, ne commande jamais non plus au resto, que mes parents ne m’ont je crois quasiment jamais fait et que je n’avais donc presque jamais eu l’occasion de goûter. Les plus hostiles aux hannetons trouvèrent là de quoi se régaler. Une entrée chaude suivit immédiatement avec de la cervelle d’agneau. Cela faisait plus de 20 ans que je n’avais pas mangé de cervelle. Notre hôtesse nous raconta que son boucher lui avait dit qu’il fallait d’abord les décortiquer, chose que je n’avais jamais vu faire. Il me semblait, ainsi qu'à d'autre, que saisies à la poêle, les cervelles se dépiautaient d’elles-mêmes. Notre hôtesse maudit donc son boucher de substitution. Nous avions ainsi normalement chacun un lobe poché puis grillé. J’ai redécouvert le met avec plaisir, la cervelle ayant un goût, surprise!, de poisson dont je ne me souvenais pas du tout. Quelques âmes sensibles renoncèrent pourtant assez vite, malgré l’utilisation du jus de citron pour relever la cervelle, et se rabattirent sur les monceaux de riz violet (?) préparés.

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cervelle

je pense donc je suis... pas dans mon assiette!!...

Dans le cochon, tout est bon

Déjà repus, passablement éméchés par le vin rouge censé faire passer le tout, il nous restait encore à affronter le plat de résistance qui s’est rapidement révélé être triple. Je protestais faiblement contre la nature pantagruélique du repas, mentionnant le fait que je n’avais pas compris qu’il y aurait ainsi pléthore de mets. Alors que je pensais en avoir fini et pouvoir passer en cuisine pour mon dessert, trois plats se matérialisèrent à l’insu de mon plein gré, amas inidentifiables de chairs disparates. Et c’est fièrement que fut annoncé que nous nous trouvions là en présence, respectivement, de pieds, de langues et d’oreilles de cochon. Le pied de cochon fut vite évacué : seul le bout nous avait été refilé, et il n’y avait rien à manger dedans. Le spécialiste du pied de cochon présent parmi nous nous ôta donc par cette remarque la peine de devoir batailler vainement avec une bête rétive et avare. La langue elle s’est avérée être excellente. Ce fut pour moi la bonne surprise de la soirée, la découverte inattendue, très loin des souvenirs terrifiés que j’avais de la langue de bœuf façon cantine, veineuse et dégoûtante. La lange de porc m’est apparu comme un met très fin, dont l’aspect évoque le foie, mais dont la texture et le goût sont très différents, beaucoup plus doux et subtiles. Les oreilles en revanche n’ont pas remporté auprès de moi un franc succès. L’amateur de pied de cochon a bien essayé de les manger avec une vinaigrette pour leur donner un peu de saveur, mais la façon de les consommer qui implique de gratter la chair le long du cartilage, ou de sucer le morceau ne m’a pas des masses convaincu. Ni le fait de manger le cartilage avec comme on m’a dit que certains amateurs faisaient, feignasses barbares selon moi après expérimentation.

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Oreilles_et_langue_de_porc

Langues à gauches, oreilles à droite: et ça papote, et ça papote...

Entremet et boisson

Au bord de l’apoplexie, et alors que je commençait à mobiliser mes forces en vue d’aller préparer le dessert, on nous annonce qu’il y aura un entremet et une boisson spéciale dont il faudra deviner les ingrédients, mais dont la préparation demande quelques moments de patience. Notre hôte propose de nous faire voir une séquence de School Rumble qu’il jugeait totalement d’à propos, séance de dégustation au sein du lycée tournant au cauchemar culinaire pour l’un des héros. Nous guettant derrière nos rires, l’entremet nous attendait, perfide et anonyme lui aussi, et dont il fallait découvrir la nature. Il se présentait sous la forme d’un gelée noire, pour moi sans aucun goût, mais avec une très forte odeur de foin ou de réglisse (mais j'ai dû être influencé par la couleur). Il s’agissait en fait de « grass jelly », truc asiatique à base d’un herbe proche de la menthe si j’ai bien compris. Très très bof… La boisson elle était beaucoup plus intéressante. D’une belle couleur rouge ambrée, on identifia rapidement le rhum et un vin blanc liquoreux. Peu après quelqu’un remarqua la note de thé. Et enfin l’on comprit que le rouge était dû à la présence de Porto dans le liquide. La boisson était servie chaude à la manière d’un grog : très très agréable.

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Grass_jelly

Grass Jelly: absence de goût, absence de texture, absence d'intérêt, et absence de couleur: un tout cohérent finalement.

D'olive en polochon

Vint enfin le temps du dessert préparé par mes soins. Il s’agit d’une glace à l’olive : une base de glace vanille normale, des olives noires mixées en tout petits morceaux et macérées dans un jus d’armagnac légèrement sucré et incorporées dans la glace, des blinis trempés dans le jus de macération et garnis de ce qui reste des olives mixées. Le tout nappé d’un filet d’huile d’olive très léger si l’on en a une bonne, ce qui n’était pas notre cas ce soir là, on s’est donc abstenu de flinguer la glace. Alors que je m’attendais à pas mal de réticences (généralement quand je parle de glace à l’olive tout le monde fuit), la glace à plutôt plu. Et pour célébrer la fin de ce terrible repas nous trinquâmes sur une eau de vie de prune maison en guise de digestif. Pour moi ce fut l’élément qui vint m’achever. Conscient (enfin c’est pas exactement le bon terme, mon métabolisme fonctionnant plus alors à l’instinct ou au réflexe) des limites que je venais d’atteindre, je saluai la compagnie, descendis dans la rue un bocal plein de bébés phasmes sous le bras (on m’en avait confié le transport, mais ça c’est une autre histoire), et attrapai un taxi pour rentrer chez moi et m’étaler misérablement sur mon lit, tête et estomac geignant, mais au cœur la ridicule mais néanmoins jouissive fierté d’avoir ri de ces démons culinaires au cours d’une soirée où l'on tenta de changer des supplices en délices.

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Commentaires
I
J'avoue que je t'envie pour la soirée que tu as passé là! ça m'a l'air d'avoir été très amusant. Et de plus tu as une très belle manière de raconter les choses.<br /> Et je serais vraiment très curieuse de goûter de la glace à l'olive! J'aime beaucoup les olives
R
sa ce menge tou sa tcho
Le pavillon des fous
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