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Le pavillon des fous
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17 novembre 2006

Les formidables aventures de Lapinot, par Lewis Trondheim

pplapinott7_1024

Voilà une présentation d’une de mes séries de bandes dessinées préférées, celle qui m’a fait découvrir Trondheim et l’Association, et qui constitue pour moi un des jalons du renouvellement de la BD française. Alors petite présentation de la série, aujourd’hui achevée, le dernier tome confirmant l’annonce de son auteur de ne plus dessiner (ce qui ne l’empêche pas de continuer la BD, mais il n’est pas à une contradiction près le bonhomme).

trondheim_selfportrait

Genèse de la série

Tout commence avec un auteur qui veut faire de la bande dessinée, qui a plein de bonnes idées, mais qui ne sait pas vraiment (voire pas du tout) dessiner (preuve : les précédentes productions, heu… graphiquement dépouillée…). Alors comme il est malin, et qu’avec des amis il lance un maison d’édition pour auteur de BD dont personne ne veut (L’Association), il se dit « moi mon truc c’est la contrainte, je vais faire un album de 500 pages pour apprendre à dessiner. Je vais choisir le style animalier parce que petit j’étais fan de Picsou en général, et de Carl Barks son créateur en particulier ». Et le voilà parti pour une aventure qui reste l’un des moments forts de la BD de la dernière décennie :

Lapinot et les carottes de Patagonie.

patagonie

500 planches de 12 cases chacune, de même dimension. Tout l’univers de Lapinot est déjà en gestation, tous les personnages, les retournements, les loufoqueries, les délires philosophiques et les questionnements existentiels, les thématiques surnaturelles, le réalismes de situations du quotidien, le décalage dans la vision du monde. Tout y est, en train de se faire. Pour moi un choc terrible, l’idée que la BD peut encore être quelque chose à l’œuvre. Et une inventivité débordante mêlée à une dynamique narrative impressionnante. Et une conclusion extraordinaire… Malgré la somme que constitue ce volume, je ne conseille pas de commencer par là pour découvrir la série. C’est d’abord un exercice de style et de création. Et les dessins, qui même aboutis peuvent en rebuter plus d’un, sont là encore à l’état d’ébauche.

Après ce volume, et en marge de la série mais reprenant l’univers esquissé là, Trondheim fera une histoire très courte dans la collection « Pattes de mouche » :

Imbroglio

imbroglio

Il s’agit là d’une sorte de sketch en huis clos. Trois personnages tentent de s’assassiner les uns les autres, rebondissements de situation se succédant quasiment à chaque page. Là encore un exercice de style, narratif celui-là.

Dans le même genre, citons l’exercice d’écriture à deux avec Matt Konture, toujours en « Pattes de mouche », mêlant le Galopu de Konturr et le Lapinot de Trondheim:

Galopinot

galopinot

Et puis arrive le véritable premier album de la série, alors en noir et blanc : Slalom qui reçoit un prix à Angoulême en 1994. J’en parle ensuite dans la réédition couleur qu’on trouve aujourd’hui. Dans la foulée il publie au Seuil un pendant de Slalom, gardant les personnages déjà esquissés dans Les Carottes de Patagonie, mais les plongeant dans un contexte médiéval :

Mildiou.

mildiou

Le concept de la série Lapinot est alors en place. Deux veines d’écriture parallèles : l’une continue et ancrée dans la société d’aujourd’hui, avec des bords tirant légèrement vers le surnaturel ; l’autre constituant des histoires à part, dans des univers référentiels bien identifiés, avec leurs propres contraintes et règles, parodiant un genre narratif mais utilisant toujours les mêmes personnages. On peut voir également en Mildiou le déclencheur de l’autre grande série de Trondheim : Donjon.

En marge de la série, Trondheim en construira une autre avec certains personnages secondaires, Les Formidables aventures sans Lapinot, compilation de planches faites pour des journaux et magazines, tels svm mac : Les Aventuriers de l’univers, Cyberculture mon amour, et Ordinateur mon ami. Je ne détaille pas car ça ne rentre dans le système qu’à l’envers, et je ne trouve pas ces volumes vraiment si exceptionnels ou remarquables, même si le système de planches-sketches fonctionne très bien, jouant à fond le registre de l’humour.

k_lapinot

La série

Les Formidables aventures de Lapinot c’est donc une série atypique qui brasse de nombreux sujets de société et de réflexions avec humour et finesse. Tout en recul, la série évite de se prendre au sérieux trop longtemps, tout en tenant des propos qui refusent l’anodin. C’est avant tout un équilibre entre discours tenu et ridicule des situations. Ce sont des galeries de portraits justes et réalistes, même à travers la caricature. C’est un héros qui se pose des questions et ne trouve pas toujours de réponse. Mais c’est aussi et surtout des crises de rire à ne plus s’arrêter. Mélange de tons, mélange de thèmes, mélange de récits, Lapinot c’est donc une alchimie particulière, pour moi unique et extraordinaire. Avec un arrière-fond permanent fantastique qui met l’ensemble en perspective et entretien un doute permanent sur ce qui est décrit. En quelque sorte l’ère du soupçon appliquée à la bande dessinée. Petit tour d’horizon des différents tomes, avec cette alternance entre les deux veines, numéro pairs de la série face aux numéros impairs en gros, jusqu’à ce que ça dissone :

0 : Slaloms

qui réjouira les amateurs de schuss ; de tire-fesses, de télésièges, de poudreuse et de Cloclo

slaloms

Comme je l’ai dit, d’abord édité à l’Association, ce volume a été repris par Dargaud pour commencer la série. Il raconte le séjour au ski de 4 amis qui formeront la base des aventures futures de la série : Lapinot le héros lapin angoissé et moralisateur, Richard le lion (chat ?) égocentrique et fou fou qui attire les ennuis, agaçant et admirable à la fois, Titi le chien coureur de jupons, et Pierrot la souris intello. Mais leur séjour se trouve compliqué par la présence d’un loup dans la montagne. Certainement le volume le plus drôle. Celui par lequel commencer. Très léger, réécriture hilarante des poncifs du ski, ceux qui pratiquent se reconnaîtront forcément dans les situations mises en scène. Apparaît dans ce tome Nadia qui sortira plus tard avec Lapinot. L’aspect un peu friends qui fera le succès de la série est très fort dans ce tome.

1 : Blacktown

qui réjouira les amateurs de western, d’humour, de philosophie et de plâtrée de gros fayots rouges.

blacktown

On quitte la série contemporaine pour ouvrir la série parallèle des histoires décalées dans un autre univers référentiel. Ici le western, et de sombres machinations : gangsters, violence, préjugés et faux-semblants, et un héros embarqué dans une intrigue qui ne le regardait pas. Le traitement du motif de la belle femme à secourir est particulièrement percutant. Un gros décalage entre les situations rythmées et les dialogues bavards, philosophant et psychologisant.

2 : Pichenettes

qui réjouira les amateurs de Scrabble, de billes, de flipper et d'ésotérisme d'Europe Centrale

pichenettes

Retour à la « vraie » vie. Lapinot tente de sauver un homme qui essaie de se suicider, à cause d’une terrible malédiction qui pèse sur lui et qui a ruiné sa vie. Lapinot accepte le caillou porteur de la malédiction pour que l’homme cesse ses tentatives de suicide. Richard est terrifié par ce geste. Et il semblerait que la malédiction ait des préférences : au lieu de frapper Lapinot elle s’acharne sur Richard. Malédiction réelle ou inconscient qui joue des tours à Richard ?

3 : Walter

qui réjouira les amateurs d’intrigues alambiquées, d’aventures feuilletonesques savoureuses, de finesses spirituelles et de gros monstres

walter

Série parallèle dans un univers un peu inspiré de Chtulhu pour moi, avec une sombre intrigue policière comme principe narratif. Des enjeux politiques, des expériences qui tournent mal, des grosses bêtes qui font peur, etc. Le tout dans un contexte entre deux guerres. Les couleurs sont assez étonnantes, et certains éléments rappellent Tintin (jeu des ambassades). Lapinot est étudiant en médecine, et chez un de ses ami est découvert un monstre. Il est aidé dans son enquête par un journaliste (Richard) et un policier (Titi)

4 : Amour et intérim

qui réjouira les amateurs de piscine, de chips, de grosses motos et de théologie statistiques

amour_et_int_rim

La vie la vraie de nouveau, avec mon tome préféré de la série. Lapinot découvre une mallette contenant un million et part à la recherche de son propriétaire. Il est pris dans une intrigue amoureuse avec Nadia d’une part, et dans une rocambolesque histoire de promotion professionnelle, entrant dans une boîte chargée de redresser des tords ou de faire la morale aux gens dans laquelle travaille Richard. Mais que se cache-t-il derrière cette loufoquerie ?

5 : Vacances de printemps

qui réjouira les amateurs de romantisme, de flambée de cheminée, de campagne anglaise, de domestiques serviables et d’amour pas trop torride

vacances_de_printemps

Alors que dans l’histoire continue ça semble enfin en bonne voie entre Lapinot et Nadia, tout est à refaire dans ce tome situé dans une Angleterre pseudo victorienne ! Lapinot est un fils de la bonne société anglaise, en repos dans sa propriété de campagne, après des études d’art qui ne l’ont pas satisfait, lui voulant être scientifique, honte pour sa famille qui s’opposa à cette orientation. En vacances il retrouve ceux qui peuplèrent son enfance, et la belle Nadia qui lui et ses rivaux vont se disputer le temps d’une saison. La série parallèle que je préfère, très doux et drôle à la fois, ébauchant subtilement les mythes romantiques et le désenchantement de la sortie de l’enfance. Dedans quelques répliques et planches cultissimes pour moi.

6 : Pour de vrai

qui réjouira les amateurs de gens qui se parlent, de gens qui discutent, de gens qui blablatent et de voitures rouges

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Vacances dans le Sud pour Lapinot et Nadia en couple à présent. Ils sont rejoints par toute la bande bien décidée à animer ces vacances en amoureux. Nadia veut faire des reportages sur des gens loufoques fuyant ou recherchant les média. Lapinot retrouve son ancienne amie, et la maison dans laquelle ils réside recèle quelques étrangetés.

7 : La couleur de l’enfer

qui réjouira les amateurs de catacombes, de crottes de chiens, de jus de mollards et de liaisons sentimentales

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On reste dans l’histoire « vraie », rompant l’alternance des deux veines qui fonctionnait jusque là. Le propos se fait un peu plus sérieux. Lapinot et Nadia envisage la vie à deux. Recherche de boulot et d’appart, choix du mode de vie, etc. Tout ça sur fond de militantisme écolo et sociétal pas toujours très net. Un ton plus grave qui annonce le retour à la réalité, le pour de vrai annoncé auparavant. L’onirisme se dilue dans ce tome, le fantastique s’échappe pour ne plus être présent qu’allusivement dans la blague autour de la lune, allusion à Spirou (Z comme Zorglub pour moi) annonçant le prochain tome. Les deux univers jusque là perméable l’un à l’autre semblent se séparer.

9 : L’accélérateur atomique

qui réjouira les amateurs de groom, de laboratoire secret, de rebondissements et de design hyper-réaliste science-fictionnel des fifties

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Pourquoi le tome 9 avant le 8 ? et bien parce qu’il est sorti avant, et qu’on comprend meiux la série dans cet ordre selon moi. Lapinot rentre dans l’univers de Spirou, dont on avait un indice à la fin de la Couleur de l’enfer. Il est accompagné par un Fantasio canard, emprunt du Herbert de Donjon. Une série est en train de passer la main à une autre. Et pour cela elle choisit le cadre d’une bande dessinée justement. Le rêve retourne au rêve comme la réalité retourne à la réalité dans le tome suivant, dernier de la série. Un tome bizarre, assez décrié. Titi et Nadia ont disparu. Richard a un rôle minime. Lapinot est comme déjà perdu dans un univers qu’il a du mal à faire sien, seul, de l’autre côté du miroir. Mais les gags et la narration marchent toujours aussi bien.

8 : La vie comme elle vient

qui les amateurs d'albums de BD cartonnés, de livres en couleurs, de personnages animaliers et de mort

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Le dernier album de la série… Retour à l’histoire contemporaine : Nadia et Lapinot font une soirée. Mais une des invitées annonce que ses tarots lui ont prédit qu’un membre de la soirée allait mourir. Et la soirée dérape… Dire que l’on est amer à la fin de ce tome est un euphémisme. C’est extrêmement poignant et émouvant. J’ai été séché par l’issue donnée par Trondheim à sa série, malgré mes 3 ou 4 lectures des Carottes de Patagonie. Mais c’est une très belle façon de clore un ensemble. Maintenant il n’est évidemment pas question de commencer par là pour découvrir la série : ne le lisez qu’après tous les autres… Relire l’accélérateur après ce tome lui donne une autre profondeur… A signaler aussi pour ceux qui lirent la prépubliation dans le métro de l’été de sa sortie que les premières planches ne sont pas les mêmes (certaines en plus).

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Et pour finir quelques planches pour vous faire une idée du style et de l’évolution graphique, ainsi que de l’humour (j’ai pris sur le net, pas de scanner à la maison)

Une planche des Carottes de Patagonies (oui le dessin fait encore un peu pleur...) :

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une de Slaloms :

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et enfin Vacances de printemps :

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Allez, fais pas cette tête Richard ! Tu vois : Lapinot il en fait pas tout un plat lui !

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